Cela fait plusieurs années que nous aimons et que nous suivons le travail ce talentueux artiste, qui a installé son atelier dans un ancien moulin à huile en 2001 à Biot, célèbre centre français de production verrière historique. Né en 1980 à Antibes, ayant grandi dans une famille d’artistes, à l’école de son père, Robert Pierini, il acquiert les bases de la technique et de la gestuelle du travail du verre soufflé et découvre le plaisir de maîtriser cette matière en fusion.
Un savoir-faire qu’il enrichit grâce à des formations (fusing, casting, filigrane et murine, gravure sur verre, sculpture figurative, travail du néon et du plasma, et vitréographie sur verre), résidences et accueils dans des ateliers d’artistes, musées (MusVerre Sars-Poterie France, Museum Of Glass Tacoma USA) et centres d’art internationaux (Pilchuck USA, Cesty Skla Ways of Glass République Tchèque, Niijima Glass Art Center Japon).
Les rencontres l’ont conduit à développer sa pratique du verre contemporain en tant que medium artistique à part entière, qu’il active le plus souvent dans des accumulations et installations. Sensible aux créations de Constantin Brancusi, pour leurs formes fondamentales, et d’Arman, pour son rapport à l’objet manufacturé détourné, l’esthétique de son travail est guidée par une recherche de sobriété des lignes en lien avec la nature ( sa mère est militante engagée pour les droits de l’environnement).
Formateur à l’international, Antoine Pierini a présenté ses pièces à travers le monde dans une multitude d’expositions collectives et des expositions personnelles lui ont été consacrées notamment au Glas Museum de Lette, le plus grand musée privé de verre d’Allemagne, et au Musée d’Art Classique de Mougins, qui fait dialoguer ses collections antiques avec la création contemporaine.
Depuis fin mai 2022, il a installé ses œuvres -dont certaines créées spécifiquement- à Beaulieu-sur-mer, dans la célèbre villa Kérylos, signifiant « alcyon » ou « hirondelle de mer », oiseau poétique de la mythologie, qui annonçait un présage heureux… Avec cette exposition c’est le cas, puisque les œuvres d’Antoine Pierini sont magnifiquement mises en valeur dans cet écrin inspiré de la Grèce antique. Amphores translucides, Colonnes roseaux, Cyprès totems, Bulles ovoïdes et Vague gigantesque dialoguent dans toutes les pièces de la Villa Kérylos et l’accord est .. magique !
Dans cette odyssée sensible de verre et de couleur, Antoine Pierini livre ses émotions nées d’histoires singulières et de mémoires communes. Chaque œuvre porte en elle la richesse d’une histoire, la force des sensations, chacune est une invitation à voyager en Méditerranée et plus encore à la rêver.
Le parcours débute à l’intérieur de la Villa avec l’installation La Ligne et l’Angle. En élevant le regard, on découvre ces baguettes de verre aux destins parallèles et entre lesquelles s’est glissé un méandre, qui peut renvoyer à la sinuosité de la pensée comme à la multiplicité des chemins.
Dans le Balanéion voisin (Salle des Naïades), Les Collines se développent sous forme d’accumulation. C’est en pensant aux dunes du désert algérien de Tassili qu’Antoine Pierini a façonné ces bulles abstraites, dont les formes de souffle et de sable peuvent tout aussi bien évoquer des gouttes d’eau, des globules rouges, que des cellules végétales.
Antoine Pierini sculpte la nature en formes symboliques, comme avec ses Colonnes Roseaux. Ces évocations végétales prolifèrent dans le Péristyle, cour intérieure de la Villa. Leurs petites unités, dont les volumes épurés cherchent l’essentiel, sont un hommage par le verre à la colonne sans fin de Brancusi et à l’axis mundi, reliant la terre et le ciel.
La visite se poursuit dans la Bibliothèque avec les Lignes Solaires, une installation dont les baguettes en verre semblent émerger du dehors. Comme Dan Flavin utilisait le néon, Antoine Pierini mobilise la lumière du verre comme materia prima. On pense alors à ce combat que mènent les auteurs engagés à travers leurs lignes, et à ce tragique solaire qu’évoquait Camus, où vivent les images positives que chacun garde en soi face à l’absurde. Le leitmotiv est simple, et c’est une philosophie au fondement de l’œuvre de l’artiste : ne pas renoncer au bonheur d’être, à cette pensée solaire qui par sa force résiste à tous les vents de la mer. Pour autant, il y a en hauteur un néon qui sature.
Pièce emblématique, l’installation L’Objet du Voyage embarque les visiteurs à travers la sculpture et le numérique dans l’Amphithyros (Vestibule d’Athéna). En détournant les amphores de leur fonction utilitaire et en remplaçant l’opacité de l’argile par la luminosité du verre, Antoine Pierini a imaginé des sculptures baptisées Vestiges Contemporains. S’inspirant des amphores antiques, des modèles cycladiques jusqu’aux versions byzantines, ces œuvres peuvent évoquer autant de silhouettes d’hommes et de femmes. Elles prennent vie ici avec une vidéo projetée sur leur corps, dans une introspection qui passe de la mer calme à la tempête.
Lorsque la guerre des hommes est terminée, il y a aussi la guerre des sens et c’est sur ces thèmes que porte l’accumulation Après la Bataille, déversée dans le Triklinos (Salle à manger). Elle évoque ce gai-savoir au fondement de l’héritage méditerranéen, et parle aussi de ces excès de la raison qui pourraient être comme une ivrognerie de l’âme. Et parce que la nature réémerge souvent du chaos, ce sont aussi des Arbres Repères qui ont poussé dans l’Andron (Grand salon). Sur les bases en pierre de marbre cannelé de ces sculptures, s’élèvent des formes oblongues à l’allure de cyprès, arbres symboles d’immortalité ayant colonisé tout le pourtour méditerranéen. Des œuvres totems dont le végétal sert de repère, comme les jalons d’un voyage refusant les bornes du monde et de l’homme.
C’est en montant au premier étage de la Villa Kérylos que l’on découvre des vestiges contemporains sous forme de Lumières Intimes dans les Chambres de Madame et de Monsieur. A la convergence de cultures familiales et de multiples influences méditerranéennes, ce sont autant de trajectoires qui se rencontrent dans le ventre de ces sculptures qui peuvent évoquer l’amphore tout comme la bobine, et l’on se met alors à imaginer dans ce voyage Pénélope attendant Ulysse, à moins ce que ce ne soit le contraire ? Il, elle ou iel portent en tout cas le bleu et le fuchsia à ravir.
Dans la Pièce d’eau de Monsieur, on croisera également une Pensée Tiède, s’opposant avec vigueur aux extrêmes et au nihilisme grandissant. Dans cette mise en scène de salle de bain, l’œuvre glisse ainsi ironiquement vers l’évacuation de la baignoire comme s’effaceraient les âmes tièdes dans le théâtre de la vie.
Pour terminer ce parcours, c’est une apothéose de l’art du verre – hallucinant de beauté !- qui nous attend dans la Galerie des Antiques. Composée de dizaines de plaques de verre en nuances de bleu, l’installation Mer Intérieure est comme une tempête qui se joue au-dedans, une mer d’émotions, lieu de naissance de la tragédie et du drame qui porte en lui l’espoir. Dans cette mer indomptable qui reflue en dizaines de plaques à l’intérieur de la Villa, la révolte est comme le mouvement de la vie. Le poète des Fleurs du mal n’écrivait-il pas : « Homme libre, toujours tu chériras la mer »… Une exposition majeure à découvrir absolument. Une raison supplémentaire de descendre sur la Côte d’Azur !
Présentation : Catalogue de l’exposition « En rêvant la Méditerranée »
Infos : Exposition « en rêvant la Méditerranée » Antoine Pierini, jusqu’au 18 septembre 2022. Villa Kérylos, Impasse Gustave Eiffel 06310 Beaulieu-sur-Mer . Tél : 04 93 01 01 44 . Réservation conseillée sur le site Villa Kérylos. Nombre de visiteurs limité. www.villakerylos.fr
Ouvert tous les jours, jusqu’au 30 août : 10h-18h. Du 1er septembre au 30 avril : 10h-17h. Prix : 11,5€ . Tarif groupe : 9 €