L’ombre et la lumière, autrement.. Le Musée du Luxembourg consacre, du 17 septembre 2025 au 11 janvier 2026, une exposition aux peintures sur papier de Pierre Soulages (1919-2022). Un choix ambitieux et audacieux : là où le grand public associe encore l’artiste à ses toiles monumentales et à l’« outrenoir », le commissaire Alfred Pacquement invite à une plongée dans une pratique plus intime, souvent restée dans l’ombre.
Près de 130 œuvres sont réunies, dont une trentaine jamais montrées. C’est l’une des rares fois qu’une exposition parisienne met en avant exclusivement ce corpus, longtemps conservé par l’artiste et peu diffusé avant l’ouverture du musée Soulages de Rodez en 2014.
Le papier : laboratoire ou territoire autonome ?
Soulages a toujours refusé de hiérarchiser ses supports. Mais le papier est bien plus qu’un « laboratoire » pour la toile : il est un champ autonome, parfois même plus radical. Avec le brou de noix, qu’il adopte dès 1946, Soulages invente un langage plastique direct, sans repentir. Transparence, opacité, lumière et matière se heurtent et dialoguent sur un format souvent restreint mais d’une intensité rare.


Ces peintures possèdent une immédiateté que n’ont pas toujours les grandes toiles : elles révèlent la main de l’artiste dans son élan premier, sans la distance que peut imposer l’ampleur du format. Là où l’« outrenoir » joue sur la monumentalité et l’expérience immersive, le papier engage un rapport plus frontal, plus humain — presque fragile.

Musée de la Cour d’Or – Eurométropole de Metz © Adagp, Paris, 2025
© Photo Laurianne Kieffer – Musée de La Cour d’Or – Eurométropole de Metz.

Collection particulière © Adagp, Paris, 2025 © Photo Studio Rémi Villaggi
On pourrait regretter que la scénographie, très sobre, ne cherche pas davantage à souligner cette différence de nature. Les murs blancs, ponctués d’œuvres rythmées comme une partition, respectent la logique interne des tableaux mais laissent parfois de côté la vibration physique et sensorielle que ces papiers peuvent susciter. C’est élégant, mais presque trop lisse.
Le poids d’une reconnaissance internationale
Historiquement, ces œuvres sur papier ont pourtant été décisives. Dès 1948, l’une d’elles est choisie pour l’affiche de l’exposition itinérante Französische abstrakte Malerei en Allemagne. Une reconnaissance fulgurante, qui place le jeune Soulages aux côtés d’artistes bien plus âgés. Michel Ragon notait combien cette composition en noir et blanc avait marqué ses contemporains.

C’est là que réside un paradoxe que l’exposition effleure sans le dire : ce sont bien ces papiers qui ont, dans un premier temps, imposé le peintre à l’international — avant d’être éclipsés par la gloire des grandes toiles. On sort du musée avec la conviction que l’histoire de Soulages aurait pu s’écrire autrement si ce médium avait conservé cette visibilité initiale.
Une redécouverte bienvenue, mais inégale
La force de l’exposition est de révéler des œuvres inédites, de sortir de l’ombre des pièces fragiles, longtemps confinées à l’atelier. Certaines, dans leur densité et leur fulgurance, comptent parmi les plus belles découvertes. D’autres, en revanche, paraissent moins essentielles, répétitives parfois : c’est aussi le risque d’un accrochage qui privilégie la quantité (130 œuvres) à une sélection plus resserrée.


On aurait aimé que le parcours propose une mise en perspective plus critique : comment ces papiers dialoguent-ils avec les toiles contemporaines ? Quelle place occupent-ils dans le regard des collectionneurs et des institutions ? L’exposition reste descriptive, pédagogique, mais sans véritable prise de risque intellectuelle.
Une œuvre à la fois intime et universelle
Malgré ces réserves, l’ensemble rappelle la puissance intacte de Soulages. Ses papiers condensent une énergie brute, une sorte de langage originel qui touche à l’universel. Comme il le disait lui-même : « Brusquement, avec les peintures sur papier apparaissent des traces peintes juxtaposées, groupées dans une sorte de signe qu’on a comparé parfois à un idéogramme chinois ; il n’y a plus la continuité d’une ligne, c’est le surgissement d’un ensemble. »

Collection C.S.© Adagp, Paris, 2025 © Photo Vincent Cunillère
Regarder ces papiers, c’est affronter cette immédiateté, cette évidence, qui nous place face à nous-mêmes. Et si l’« outrenoir » a parfois écrasé par sa monumentalité, les œuvres sur papier offrent une autre lumière, plus fragile, mais non moins essentielle.
Informations :
Exposition : Soulages, une autre lumière. Peintures sur papier, du 17 septembre 2025 au 11 janvier 2026. Musée du Luxembourg, 19 rue de Vaugirard, Paris 6e. Horaires : tous les jours 10h30–19h ; nocturne le lundi jusqu’à 22h ; fermeture anticipée à 18h les 24 et 31 décembre ; fermé le 25 décembre. Tarifs : 14 € (plein), 10 € (tarif réduit et jeunes 16-25 ans – offre spéciale « 2 pour 10 € » du lundi au vendredi après 16h). Réservation conseillée sur museeduluxembourg.fr.
Publications : Catalogue de l’exposition : 208 pages, 160 illustrations, 40 €. Carnet d’exposition : 64 pages, 40 illustrations, 11,50 € (coédition GrandPalaisRmn Éditions / Découvertes Gallimard, 2025).
