Le musée d’Orsay frappe un grand coup en consacrant, pour la première fois en France, une exposition monographique à John Singer Sargent (Florence, 1856- Londres, 1925). Du 23 septembre 2025 au 26 janvier 2026, John Singer Sargent Éblouir Paris réunit près de 90 œuvres, dont 66 peintures, et dévoile la décennie où ce jeune prodige, encore inconnu, s’imposa à Paris avant de s’exiler à Londres. Une revanche tardive pour un artiste adulé aux États-Unis et en Angleterre, mais resté longtemps dans l’ombre en France.

Car Sargent fut, littéralement, un météore. Arrivé à dix-huit ans à l’atelier de Carolus-Duran, il absorbe tout avec une rapidité déconcertante. Son coup de pinceau est déjà celui d’un virtuose, ses compositions révèlent une audace presque insolente. L’écrivain Henry James parlait de « talent qui, au seuil de sa carrière, n’a déjà plus rien à apprendre ». En quelques années, il s’impose comme portraitiste des élites cosmopolites, capte la lumière et l’énergie d’une époque, et signe des toiles qui comptent parmi les plus étonnantes de la Belle Époque.

Puis vient le scandale de 1884. Son portrait de Virginie Gautreau, rebaptisé Madame X, déclenche une tempête morale au Salon. La bretelle glissant de l’épaule, le décolleté jugé trop audacieux, la pose provocante : tout choque. Sargent, meurtri, quitte Paris. Mais ce tableau, qu’il qualifiait lui-même de « meilleure chose qu’il ait jamais faite », est aujourd’hui considéré comme une icône, au même rang que les Filles d’Edward Darley Boit ou le Dr Pozzi chez lui.


L’exposition d’Orsay a quelque chose de réparateur : elle restitue au public français la place qu’a tenue Paris dans la formation de cet artiste hors norme. Car derrière le portraitiste mondain, c’est un peintre voyageur, nourri d’Italie, d’Espagne, du Maroc, qui se révèle. Ses toiles vibrent de contrastes, de sensualité et d’éclats colorés. Sa technique, éblouissante de brio, lui permettait de rivaliser avec Velázquez tout en inventant un style résolument moderne. On ressort ébloui, comme le titre l’annonce.

Ébloui par le talent précoce d’un artiste qui, dès ses vingt ans, semblait manier les pinceaux comme un athlète d’élite manie son corps. Ébloui aussi par la diversité et la force des œuvres rassemblées, dont certaines n’avaient pas revu la France depuis leur création. Sargent, longtemps perçu comme un étranger brillant mais secondaire, retrouve ici la place qui lui revient : celle d’un peintre majeur, au carrefour de l’Europe et de l’Amérique, entre tradition et modernité.



Williamstown (Massachusetts), Clark Art Institute Photo © Clark Art Institute, Williamstown
Au-delà de l’éblouissement esthétique, l’exposition interroge aussi notre regard contemporain : qu’est-ce qu’un portrait, sinon une manière de fixer la présence et la puissance d’un individu dans son époque ? Chez Sargent, les femmes, mécènes, amies ou modèles, occupent une place centrale : figures libres, sublimes ou dérangeantes, elles donnent à ses toiles une intensité qui résonne encore aujourd’hui. En redécouvrant ce maître cosmopolite, Paris ne célèbre pas seulement un virtuose oublié, elle se réconcilie avec une part de sa propre histoire artistique.

54 × 64,8 cm/ Londres, Tate, offert par Mlle Emily Sargent et Mme Ormond via le Art Fund, 1925 Photo © Tate
Exposition John Singer Sargent. Éblouir Paris, du 23 septembre 2025, au 11 janvier 2026. Musée d’Orsay, Esplanade Valéry Giscard d’Estaing 75007 Paris. Tarifs : 16 € en ligne, 14 € sur place ; Tarif réduit : 13 € en ligne, 11 € sur place. 9h30/18 h. (jeudi jusqu’à 21:45). Fermé lundi.
Catalogue Expo : John Singer Sargent Éblouir Paris, sous la direction de Caroline Corbeau-Parsons et de Paul Perrin. 256 pages, français, coédition musée d’Orsay / Gallimard, 45 €.
Photo en une : John Singer Sargent. Un coup de vent (Judith Gautier), vers 1883-1885. Huile sur toile. 62,9 × 38,1 cm/ Richmond, Virginia Museum of Fine Arts, Collection James W. et Frances Gibson McGlothlin, L2015.13.47. © Virginia Museum of Fine Arts / Travis Fullerton